Trefflé Brouillet est né à Sainte-Marie-de-Monnoir le 11 mai 1832, sixième dans une famille catholique de treize enfants (dont Marie – 1836-1877, Nicolas – 1837-1919 et Philomène – ? – 1882). Son père Alexis était cultivateur et habitait à 1500 m du village actuel de Marieville. Vers 1845, il devint bedeau à l’église. En prenant sa tâche à coeur, il en arriva à s’opposer aux vues du curé sur la gestion des lieux, ce qui refroidit son ardeur religieuse. En 1849, quand le colporteur Louis ROUSSY se présenta dans la paroisse, les Brouillet furent les premiers à accepter de recevoir une bible. Peu après, l’ensemble de la famille cessa de fréquenter l’église, à l’exception des trois aînés qui avaient déjà quitté la maison et étaient devenus autonomes. Un tel revirement leur amena bien des avanies1.
La même année, Trefflé2, qui avait déjà dix-sept ans, se mit à fréquenter l’école des garçons de Grande-Ligne (qui portera plus tard le nom d’Institut Feller). Il y resta pendant cinq ans et s’y fit remarquer par sa patience, sa fidélité au travail et sa grande bonté, s’attirant l’estime de ses maîtres.
C’est en 1851, alors qu’il était encore élève au collège, qu’il put assister au grand débat entre le Père CHINIQUY, qui défendait avec fougue la position catholique et le pasteur Louis ROUSSY qui présentait une autre façon de lire l’Évangile et de faire son salut. Chacun fit imprimer par la suite sa propre version de la rencontre, le Père Chiniquy déformant les propos de l’adversaire et se proclamant facilement vainqueur3. Ce type d’échanges plaisaient à une époque où la religion était omniprésente et où les distractions étaient rares, mais il est peu probable qu’ils aient vraiment influencé les auditeurs qui campaient sur leurs positions.
En 1855, Trefflé devint instituteur à Saint-Pie parce qu’on en avait un urgent besoin. C’est dans ce village qu’il fit connaissance de Mathilde Parent et qu’il l’épousa le 15 septembre de l’année suivante. Elle allait demeurer à ses côtés pour le reste de sa vie. En 1857, il fit la classe à Saint-Grégoire4 tout en y étant aussi évangéliste. De 1858 à 1868, malgré sa formation réduite, il accepta d’enseigner à l’école des garçons où il avait lui-même étudié. Il retourna ensuite à Saint-Pie comme assistant du pasteur Louis NORMANDEAU.
L’année de la mort de Madame Henriette FELLER, la Mission de Grande-Ligne passa par une situation financière critique de sorte que les missionnaires furent invités à tirer leur épingle du jeu en se trouvant de l’emploi où ils pouvaient. C’est ce qui explique que Trefflé se soit rendu alors aux États-Unis rejoindre un de ses frères qui habitait le Connecticut. Il espérait bien y gagner sa vie et en profiter pour apprendre l’anglais. Il y trouve une occupation bien rémunérée5, mais cela ne dura pas car dès 1869, on le trouvait enseignant à Saint-Sebastien au service de Grande-Ligne, se rendant à Saint-Grégoire, Henryville et Pike River pour les services religieux, mais nous ne savons pas à quel rythme. Le pasteur Normandeau ayant quitté son poste de directeur de l’école des garçons en 1870, ce fut Trefflé qui lui succèda et y demeura pour quatre ans. Le collège n’avait pas été bien administré jusque là, selon Louis Roussy, et ce dernier doutait même que Trefflé y mette bon ordre. D’autres pensent qu’il y a réussi, malgré sa faible marge de manoeuvre économique. Durant ce temps, le besoin de pasteurs se fait sentir et tout en gardant sa tâche à Grande-Ligne, il se rend à Henryville pour y célébrer un culte tous les quinze jours et en 1873, pour un an, il jouera aussi le rôle de pasteur intérimaire à Sainte- Marie, son lieu de naissance, le pasteur Toussaint RIENDEAU étant alors en Angletterre pour y recueillir des fonds. Ayant quitté son poste, à l’été 1874, Trefflé fut pour de brèves semaines pasteur à Rivière-du-Loup-en Haut (Louiseville) et à Ely-Sud.
Il s’occupera ensuite de Roxton Pond, ce petit village à huit kilomètres à l’est de Granby6. Cette région venait de connaître une émigration importante car, entre 1870 et 1873, 31 familles des environs de Roxton étaient parties s’établir sur la rive est du Lac Huron. De 1868 à 1873, plus de 150 personnes de la région immédiate avaient aussi quitté pour les États-Unis en même temps que des milliers d’autres Québecois.
Cela est encore dans l’esprit de tout le monde quand le 7 septembre 1874, Trefflé Brouillet est élu pasteur à Roxton Pond. Cette station missionnaire, qui est en place depuis plus de trente ans, n’avait jamais eu de pasteur permanent. De plus, au moment de son arrivée, la communauté semble tiraillées par quelques tendances religieuses divergentes. Certains avaient même protesté contre le choix de ce nouveau pasteur et avaient envoyé une pétition à la Mission de Grande-Ligne pour qu’elle revienne sur sa décision. Malgré tout, Trefflé Brouillet accepta de relever le défi. Sa sociabilité désarma ses adversaires et sa piété réussit à lui rallier tous les membres de son église.
En effet, il en restera le pasteur pendant vingt-deux ans, sachant mener son troupeau, le guidant par des prédications profondes et des conseils judicieux. On dit même que certains catholiques seraient venus le consulter en cas de peine et y trouver du réconfort. Il fut consacré à Roxton Pond au printemps 1876 et cette même année, l’église fut réorganisée, adopta une constitution et une nouvelle confession de foi. Huit ans plus tard, le pasteur Théodore LAFLEUR constatait : « On trouve dans cette station tout ce qu’il faut pour y faire du bon travail. Sa chapelle est assez grande, son nouveau presbytère bien aménagé est entièrement payé et sa communauté est constituée d’un noyau protestant solide qui rayonne dans la population catholique qui l’environne de toutes parts car ses membres ont un esprit missionnaire. » Le presbytère avait été construit entre 1880 et 1884 avec la participation des fidèles et il subsiste encore de nos jours, devenu une maison particulière.
À partir de 1878, Trefflé Brouillet s’occupa aussi de l’église de Saint-Pie et visita régulièrement la station de Saint-Valérien à une quinzaine de kilomètres de là. De plus, en 1880, il y avait à Roxton Pond deux écoles protestantes soutenues par la communauté. Les instituteurs en étaient Monsieur Octave Therrien (le frère du pasteur Alphonse de Liguori Therrien) et Mademoiselle Eva-Anna Brouillet (la propre fille du pasteur). Ils s’intéressaient également à l’école du dimanche tout comme le faisaient tout naturellement le pasteur et son épouse.
Dans ses rapports, Trefflé Brouillet signale deux ou trois incidents intéressants. Ainsi un membre de son église avait confié à sa sœur très dévote un Nouveau Testament. Avec le temps, elle se décida de venir une fois au culte, puis par la suite d’y revenir régulièrement, fréquenta les réunions bibliques du mercredi et finit par confesser qu’elle adhérait maintenant à sa nouvelle dénomination. C’était courageux de sa part car elle tenait un commerce d’articles de fantaisie dans le village et certains avaient menacé de la boycotter. Ce ne fut pourtant pas le cas et elle garda fièrement ses nouvelles convictions.
Il n’y eut pas de réveil particulier au cours de son passage à Roxton Pond, mais des conversions répétées et fréquentes. Ainsi il fait état de sept baptêmes à l’été 1882, de sept autres en 1887 ainsi que onze l’année suivante, et ce ne furent pas les seuls. Ces baptêmes se faisaient dans les eaux de la rivière Yamaska devant une foule de deux à trois cents personnes, catholiques pour la plupart.
En 1884, l’ex-oblat Napoléon GRÉGOIRE s’était converti à Grande-Ligne sous l’influence du pasteur Alphonse de Liguori Therrien et peu après, il entreprit des études au Newton Seminary (Mass). Il passa alors quelque temps dans la village de Roxton Pond et accepte d’y tenir un débat avec un représentant du romanisme envoyé par le curé. Il s’agissait d’évaluer les mérites respectifs du catholicisme et du christianisme évangélique. L’échange s’était passé un soir à la lueur des flambeaux et à l’extérieur près d’un petit bois. Comme dans le duel précédent entre Chiniquy et Roussy, cela n’avait sans doute pas changé la conviction de chacun, mais certains entendaient pour la première fois un autre son de cloche. Les efforts du curé pour attirer des protestants à la messe furent vains. Par ailleurs, il refusa de discuter avec le pasteur Brouillet devant d’autres personnes.
La communauté du pasteur Trefflé Brouillet était dynamique et son église lui tenait à coeur. En effet, en 1887, le pasteur écrivait à Grande-Ligne : « Nos frères à Roxton Pond désirent se dispenser aussitôt que possible des fonds de la Mission, car ils augmentent chaque année leurs contributions pour le soutien du pasteur ».
Au milieu des années 1880 peut-être, le pasteur Brouillet accueillit chez lui un pionnier de la Mission, le pasteur Louis-Léon Normandeau qu’il avait bien connu. Ce dernier, au moment de la mort de sa femme (Charlotte Augusta Wilby), se réfugia en effet chez lui pour les dernières années de sa vie. Il s’était détaché de Grande-Ligne en 1871 pour « vues divergentes », Par exemple, Normandeau prenait au pied de la lettre le passage de l’Évangile où ceux qui cherchent le Royaume de Dieu et sa justice obtiennent tout le reste par surcroît; il en déduisait qu’on n’avait pas besoin de travailler si on avait confiance en Dieu. Par chance que sa famille et ses amis, dont le pasteur Brouillet, se sont occupés de lui dans ses vieux jours! Normandeau est décédé à Roxton Pond le 8 juin 1891 et on l’enterra peu après au cimetière de Grande-Ligne.
Vers 1888, arriva à la paroisse catholique un curé qui entendait bien ne pas laisser les protestants tranquilles. Pourtant, il accepta de débattre en privé avec le pasteur Brouillet pendant cinq heures des mérites des deux confessions. Et le pasteur se référa par la suite à cet échange pour rejoindre plusieurs catholiques romains. Pourtant ces débats publics ou semi-privés furent vite jugés dangereux et le curé reçut l’ordre de les éviter à l’avenir. Ce sera la règle dorénavant, rendant ainsi bien plus difficile aux pasteurs protestants d’entrer à leur tour ouvertement en contact avec les catholiques, les rencontres privées devenant les seules possibles.
À la fin de son ministère à Roxton Pond en 1896, Trefflé Brouillet faisait état de 42 familles dans la communauté et de quelque 200 personnes franco-protestantes dans les environs. La mort de son épouse en avril 1896, après quarante ans de vie commune lui porta un dur coup. Ce fut pour lui l’occasion de faire le point et de se dire qu’à 64 ans, il serait sans doute profitable de laisser la place à d’autres et de s’acheminer vers la retraite.
Pourtant, infatigable, il ne se retira pas entièrement du ministère et continua d’oeuvrer pour la Mission. Il semble avoir accepté l’invitation de son gendre Alexandre Racicot et de sa fille Eva à loger chez eux à Waterloo, probablement dès 1898. C’est là qu’il habite selon le recensement de 1901. Comme il semble s’être occupé de Saint-Pie entre 1896 et 1900, certains soulignent qu’il n’hésitait pas à faire une soixantaine de kilomètres pour desservir Saint-Pie depuis sa nouvelle résidence. C’est ensuite de Ely- Sud (Valcourt) dont il s’occupe particulièrement à partir de 1900, de façon intermittente pour les vingt prochaines années, en même temps qu’il se consacre à Waterloo où il loge. On sait qu’il visite les malades du village et qu’il anime dans le même temps une réunion hebdomadaire jusqu’en 1919 alors qu’il avait 87 ans.
Ses bonnes habitudes de vie lui avaient permis de garder force, santé et lucidité malgré son grand âge. Il put ainsi célébrer cette même année le service funèbre du dernier de ses frères (Nicolas). Ce n’est qu’en 1920, semble-t-il, qu’il consentit à se retirer de toute activité missionnaire, laissant la station de Waterloo quelque peu désemparée. C’est là qu’il s’éteignit le 29 mars 1927 à l’âge de 95 ans.
Comme le rappelle Manassé-B. PARENT, il n’avait pas fait de longues études et n’était pas passé par l’université, ne citait rien en latin ou en grec, mais il connaissait bien sa langue et s’en servait à bon escient, rejoignant les attentes de ses fidèles et leur manifestant la force de ses convictions. « Ce que les nouveaux convertis attendaient de leur pasteur n’était pas l’érudition, mais la piété, le zèle, et un esprit de sacrifice, qui fournissait le meilleur témoignage d’une vie vouée à la cause du Christ ». Voilà bien les qualités que tous lui reconnurent à son service funèbre, le 31 mars 1927. On l’enterra dans le cimetière baptiste de Grande-Ligne à côté de sa chère épouse, et de bien d’autres qui comme lui avaient contribué à répandre la bonne nouvelle parmi leurs concitoyens.
Jean-Louis Lalonde
1 On composa même une chanson ironique pour se moquer d’eux. On en trouvera les paroles dans Eugène A. Therrien, « Rev. Trefflé Brouillet or Sixty-five Years with The Grande Ligne Mission », p. 26 des Baptist Leaders in French Canada, 1932, où nous puiserons de très nombreuses informations.
2 On voir aussi son prénom orthographié avec un seul f.
3 Voir les sources en fin d’article.
4 Sainte-Grégoire-le-Grand aujourd’hui inclus dans la municipalité de Mont-Saint-Hilaire.
5 Paul Villard dans Up to the light, p. 73, lui prête un long séjour en terre américaine et en fait un homme d’affaires prospère, qui liquide ensuite sa compagnie pour revenir à Grande-Ligne. Cela ne nous semble pas correspondre à la réalité que nous connaissons. D’ailleurs son séjour américain fut tellement court qu’il ne lui a pas laissé suffisamment de temps pour apprendre l’anglais de sorte qu’il ne le parlait qu’avec réticence et bien imparfaitement.
6 Ce ne sera qu’en 1887 que le village sera incorporé.
Sources
Rapports annuels de la Mission de la Grande-Ligne, diverses années. Recensements du Canada, 1901 et 1911 pour Waterloo.
Le Chiniquy d’autrefois : Le suisse méthodiste confondu et convaincu d’ignorance et de mensonge
Montréal, s.n., 1875, 29 p.
Finès, Hervé (dir.), Album du Protestantisme français en Amérique du Nord, Montréal, L’Aurore, 1972, 128 p., p. 27, 30, 50.
Fitch, E. R., The Baptists of Canada, Toronto,Standard Publishing, 1911, p. 205, 211, 213, 225. Lafleur, Théodore, A Semi-Centennial Sketch of the Grande Ligne Mission, Montréal, D. Bentley,
1885, 60 p., p. 37-38, 50.
Parent, Manassé-B., “M. le Pasteur Trefflé Brouillet”, manuscrit, (1927), Montréal, Archives baptistes de l’Union, 1 p.
Parent, Manassé-B., «Trefflé Brouillet», manuscrit en anglais, (1927), Montréal, Archives baptistes de l’Union, 1 p.
Roussy, Louis, Appel à la Raison et à la Conscience, Napierville, Semeur Canadien, 1851. [réponse aux attaques du Père Chiniquy].
SHPF (Société de l’histoire du protestantisme français – Québec), « Pages d’histoire – Trefflé Brouillet (1832-1927) », L’Aurore, 21 avril 1939, p. 1-2.
Therrien, Eugène-A. (dir.), Baptist Work in French Canada, Toronto, Welch, 1926, 126 p., p. 64- 65, 104.
Therrien, Eugène-A., Baptist Leaders in French Canada, v. 1, Montréal, 1932, 100 p., p. 14, 25- 38.
Villard, Paul, Up to the Light: The Story of French Protestantism in Canada, Toronto, United Church of Canada, 1928, p. 28, 73, 163.
Vogt-Raguy, Dominique, « Les communautés protestantes francophones au Québec : 1834- 1925 », thèse PhD, Bordeaux, U. de Bordeaux III, 1996, 938 p + annexes.
p.160, 331-2, 413, 473, 477, 503, 514, 518, 553, 591, 594-5, 597, 600-601, 603, annexe 6, 14, 24, 28.